Transport et distribution d'aide humanitaire à Ienakievo en Ukraine - mai 2016

|   IENAKIEVO

Notre ville est entrée en guerre depuis maintenant un an. Et tout ce temps l'église n’a pas cherché à fuir ses responsabilités. Elle rend service à ceux qui sont dans son champ d’action. Elle est souvent le dernier espoir en matière d'aide matérielle et spirituelle.

Au cours des 7 derniers mois notre église a organisé des repas pour les plus démunis. 1000 personnes différentes ont visité nos tables (environ au rythme de 300 personnes par jour), ce qui représente environ 2 pour cent des citoyens de notre ville qui ont pu non seulement manger, mais aussi écouter la Parole de Dieu ! Et cela a permis de produire des changements dans les esprits et les cœurs.

Ces repas et l’ensemble du travail social représentent une grande charge de travail pour nos équipes. D’autres missions mais aussi de simples chrétiens de différentes régions de l’Ukraine sont impliqués dans ces chantiers. Certaines organisations sont aussi prêtes à aider. Les serviteurs de nombreuses églises traversent constamment la «ligne de démarcation» pour accorder de l'aide. Récemment, cela est devenu presque impossible. Peu de gens comprennent ce qu'il en est. Il y a quelques jours, nous sommes allés chercher de la nourriture pour nos repas en passant une «ligne de démarcation». Ce qui se passe réellement au niveau des barrages routiers et que les chrétiens ont à souffrir, en essayant de faire leur service, vous ne pourrez pas le lire dans les journaux ou le voir à la télévision.

La nourriture est devenue rare, les gens ont terriblement besoin d’aide. Nous cherchons cette aide en passant par une mission internationale bien connue. En conséquence, nous avons obtenu des produits, collecté des vêtements, de la littérature, des produits médicaux - tous stockés à Slavyansk.

Avant l’adoption de cette aide nous avions choisi notre itinéraire de transport. Nous avions constaté que le plus court chemin passait à travers Artemivsk qui nous est fermé (seulement à 110 km de nous avant Slavyansk). Cette voie n’est ouverte que pour les voitures individuelles. Pour le transport de marchandises, il faut obtenir un permis spécial à Kiev. Nous avons donc décidé de passer par Volnovakha qui est le seul corridor de transport de marchandise en fonction autorisé.

Nous sommes partis tôt le matin et tranquillement, sans incident, nous avons atteint le premier point de contrôle ukrainien.

Il y a une queue énorme et on demande aux gens de patienter. Étonnamment, les douaniers veulent bien nous croire lorsque nous leur disons que nous faisons de l’aide humanitaire, et avec compréhension nous ont laissé passer.

Après cela, nous avons dû discuter avec les militaires. On nous a renvoyé de l’un à l'autre. Après avoir entendu parler du but du voyage, on a refusé de nous laisser passer. Il nous a fallu attendre leur commandant pendant une heure. Finalement après avoir parlé avec lui, on nous a laissé passer.

Nous avons encore du passer un autre poste avant Volnovakha. Des centaines de machines dans une file d'attente nous attendaient. Il faisait une chaleur de 35 degrés. Il y avait deux files d'attente : l'une normale, l'autre pour les voitures avec enfants de moins d’un an. Quelqu'un a essayé de forcer la file d'attente, ici et là ont surgi des escarmouches verbales.

Une voiture contenant une personne âgée, les passagers ont demandé à ne pas faire la queue. Le militaire leur a proposé d’appeler une ambulance mais ils ont refusé. Il leur a alors ordonné de passer à la fin de la file d’attente. Le retraité très malade a demandé à ce qu’on appelle les services médicaux qui sont toujours présents sur les points de contrôle (ils y ont énormément de travail). Il s’est avéré que la personne âgée souffrait du diabète sucré, il a finalement été envoyé à l’hôpital. Après avoir contourné la file de voiture, j’ai fait valoir mon statut, présenté mes papier et rappeler le but de ma mission pour demander à éviter la file d’attente. Certains garde-frontières ont commencé à rire en écorchant le nom de la mission. Il nous a fallu attendre. On m’attendait à la mission, je commençais à me résigner à ne pas pouvoir ramener de produits pour les repas à temps. Après deux heures de discussions et d'appels téléphoniques, on nous a laissé passer. Nous sommes arrivés en soirée à Slavyansk après avoir avalé 400 km. Nous avons rechargé pour pouvoir partir rapidement tôt le lendemain afin de pouvoir refaire le trajet en sens inverse.

A 5 heures, nous avons chargé d'aide humanitaire, nous nous dirigeons vers Yenakiyevo. Avant d'arriver à Ugledar notre Gazelle a commencé à avoir des problèmes de refroidissement. Le trajet allait devenir de plus en plus long parce que tous les 5-10 km, nous allions devoir nous arrêter, pour refroidir le moteur, ajouter de l'eau et attendre 20 à 30 minutes pour aller plus loin.

Lorsque nous sommes arrivés à Volnovakha, je ne savais pas encore que les agréments de ce voyage ne faisaient que commencer. En ville, nous avons aussitôt été arrêtés par la police routière dont l’inspecteur nous a informés que nous n’avions pas le droit d’être ici et qu’il nous aurait fallu une autorisation spéciale du gouverneur. Tous les documents que nous lui avons présentés lui paraissaient suspects.

On nous a promis de nous livrer au SBU, on nous a pris nos documents et on nous a escorté jusqu’au prochain poste de contrôle. La police nous a promis qu’on allait s’occuper de nous et nous a laissé là. Nous avons attendu 2 heures pour avoir une audience avec le service financier (le déjeuner, je suis occupé, on revient dans 5 minutes, il était parti, et ainsi de suite)…. Nous avons dû ensuite passer 2 heures en essayant de négocier pour faire passer la cargaison.

Je leur ai fourni une procuration, des factures, un extrait du registre des bénéficiaires de l'aide humanitaire, etc. – Tout a été jugé faux. Je lui ai parlé de notre travail, des personnes que nous aidons, de l'église - et il n'a pas eu l’air très impressionné. Il a commencé à vérifier les documents disponibles : les cachets ne sont pas les bons, les signatures ne correspondent pas, ce sont des faux. Le compte rendu a été rapide et se résuma a : « Il y a beaucoup des vôtres ici ». En conséquence : « entrée temporaire sur le territoire et sortie de celui-ci». Le transport de nos marchandises doit être autorisé par le Ministère de la politique sociale de Kiev. À 17 heures, nous sommes définitivement refusés. Nous nous arrêtons à un point de contrôle à bord des larmes. Nous avons toute une cargaison qui pourrait être utile de l’autre côté. Nous ne voyons vraiment pas quoi faire ensuite. Nous sommes donc restés assis une trentaine de minutes.

Après un moment, nous avons décidé de laisser l'aide humanitaire à Volnovakha et de retourner à la maison à vide. Impossible de prendre une décision, nous réfléchirons pendant ce week-end qui nous attend.

Nous avons trouvé un lieu sûr et pendant une demi-heure nous avons déchargé la fourgonnette à deux avant de retourner au poste pour demander à ce que l’on nous libère mais ils ont fait mine de ne rien savoir et nous nous sommes retrouvés dans la file d’attente générale.

A 20h00 le point de contrôle a été fermé, et plusieurs centaines de personnes sont restées dormir sur place. Nous comprenons que certains d'entre eux en sont à leur deuxième nuit au point de contrôle. Il est devenu clair que nous sommes ici pour au moins encore un jour.

Mais un miracle est arrivé ! Les gens se sont réunis au bureau et ont veillé à ce que le point de contrôle fonctionne pendant 2 heures supplémentaires. Nous avons fini par passer vers 21h30 !

Après 15 minutes, nous sommes arrivés au poste «zéro», où s’était déjà constitué une file d’attente conséquente. Les vérifications et fouillent commence. Les véhicules sont "retournés". On renvoie les voitures qui contiennent des cargaisons dépassant un seuil limite. Les gens essaient d'expliquer que le seuil autorisé est de 50 kg par personne, mais ils n'ont pas convaincu les militaires : "ou vous déchargez ou vous revenez en arrière.". Devant il y a une voiture, le conducteur a ouvert le coffre, et il a trois pot de trois litres et un sac. L'armée déclare immédiatement qu'il est en infraction. Le pilote perplexe explique qu'il y a là moins de 50 kg et reçoit une réponse fulgurante : "On peut seulement procéder petit à petit, beaucoup pour une seule personne ce n’est pas possible. Il faut décharger la moitié".

Il fait nuit sombre, quelque part dans les buissons on entend des tirs d’armes automatiques. On sort des voitures les choses « inutiles ». Certains reviennent en arrière. Des femmes pleurent, des enfants pleurent, certaines grand-mères, les larmes aux yeux, essaient de négocier pour faire passer quelque chose de l’autre côté. De l’obscurité émerge une famille de 4 enfants. Ils viennent demander qu’on les ramène à Volnovakha. Dans leur voiture ils ont roulé sur une herse posée près du poste de contrôle et ont crevé leurs quatre pneus. Les militaires avaient seulement oublié d’ouvrir le passage et voir l’obstacle dans l’obscurité était à peu près impossible. Et tout sur la ligne de front ressemble à cela, tout peut y arriver. Est-ce que cela inquiète quelqu’un ? Est-ce que le commissaire au droit de l’enfant sait ce qu’endurent les enfants à ces points de contrôle, la nuit, le jour, en pleine chaleur ; Les commissaires aux droits de l’homme savent-ils ce qui se passe et ce qu’endurent des citoyens respectueux de la loi en ces lieux où l’on ne peut trouver ni fonctionnaire, ni journaliste. Dieu merci, on nous laisse passer et nous pouvons continuer notre chemin. Nous passons Donetsk, Makeyevka, Khartsyzsk et à 1h40, malgré le couvre-feu et les explosions qui résonnent autour, nous parvenons à rentrer à la maison. C’est seulement au moment où nous sommes arrivés que nous avons réalisé que nous n’avions pas du tout mangé dans les dernières 24 heures. Nous avons parcouru 800 km, grillé le moteur, endommagé le radiateur de la fourgonnette, et nous n’avons rien rapporté.

...... Beaucoup de frères et de sœurs sont impliqués au péril de leur vie et de leur liberté ......

 

Post-scriptum : Une semaine plus tard, nos produits d’aide humanitaire sont toujours à Volnovakha. Les appels, les demandes, expliquant la situation n'ont pas encore donné de résultats ...

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